On ne présente plus Sleep No More, l’incroyable expérience théâtrale conçue par le collectif Anglais pionnier Punchdrunk il y’a maintenant sept ans, en représentation continue à New York puis à Shanghai il y’a deux ans, encensé par la critique spécialisée et populaire et par des jury d’Awards spécialisés.
Punchdrunk s’est fait une spécialité de ce que les anglo-saxons appellent le « site-specific theatre » ou le « promenade theatre » basé sur une expérience proposée hors d’un théâtre classique (au sens du bâtiment comportant une scène face à un public) et de manière déambulatoire.
Si ces deux principes de théâtre contemporains sont aujourd’hui souvent proposés par des troupes ou des metteurs en scène lors de saisons culturelles, de festival (par exemple ici) ou d’évènements, rarement ils ont été unis dans un environnement artificiel aussi riche, offrant un haut niveau d’immersion visuelle et psychologique à un public devenu acteur.
L’association de ces techniques génère plusieurs expériences en une, bien au-delà du théâtre. On parle alors de théâtre immersif et le collectif Punchdrunk en est le spécialiste avec plusieurs créations reconnues à son actif et avec l’animation d’un lieu sur mesure pour l’expérimentation et la recherche.
Sleep No More c’est :
- La transposition de Mc Beth de Shakespeare dans des années 30 prenant l’allure des films noirs d’Alfred Hitchcock.
- Un lieu consacré, le Mc Kittrick Hôtel à New York et le Mc Kinnon à Shanghai disposant également d’un bar/restaurant, d’un roof-top bar et d’espaces pour des évènements indépendants. Ces lieux disposent de leur propre légende, créé pour l’expérience. Ils comportent sanitarium, ballroom, chambres jardins d’hiver ou autres espaces où se dérouleront l’action.
- A New York, trois anciens entrepôts totalisant 9 000 m² sur cinq étages dans le quartier de Chelsea (530 West 27th Street). Des volumes richement décorés en hôtel avec détails et accessoires, équipés de haut-parleurs pour une diffusion permanente d’une ambiance musicale créée pour l’expérience. Le visiteur pénètre par le lobby de l’hôtel, traverse un petit labyrinthe, prend son masque dans un bar jazz et rejoint le 5e étage en monte-charge avant de commencer son exploration.
- Une expérience d’une durée de trois heures au cours de laquelle le visiteur est invité à parcourir seul, masqué, en silence (et bien sur sans faire de photo) l’ensemble de l’espace, à fouiller les décors et de suivre l’acteur qui l’invitera peut-être pour une interaction très particulière (surnommée « one-on-ones »).
- 25 acteurs récurrents, chacun jouant trois fois la même scène d’une heure, le plus souvent en silence en solo ou en groupe. D’autres acteurs peuvent occasionnellement compléter le casting.

Ce descriptif révèle une position à la croisée des chemins entre l’univers des parcs d’attraction et celui des villes, position au cœur du champ d’analyse et d’observation de Funfaircity car pré-figurative des expériences de divertissement à venir :
Pour l’ « expérience parcs à thème » :
- Le scénario, l’ampleur et la richesse de la scénographie qui évoque certaines des grandes attractions issues de l’imagineering Disney.

- La présence de nombreux acteurs qui évoque les Haunted/Horror-House à thème permanentes ou installées temporairement par les parcs d’attractions à l’occasion d’évènements comme Halloween.

Pour l’ « expérience urbaine » :
- Un évènement culturel et théâtral accessible par réservation le temps d’une soirée
- Un lieu unique au cœur d’une grande métropole
Le point commun pouvant être la déambulation et l’exploration libre évoque enfin toute aventure proposée dans un parc à thème ou dans une ville touristique.
Le budget conséquent de ce type d’attraction (lieu, scénographie, acteurs, …) et l’exigence de fréquentation par un public plutôt aisé (la soirée coûte tout de même entre 100 et 150 $US selon la date retenue) explique certainement la rareté de ce type d’expériences, qui sont du coup le plus souvent temporaires, saisonnière et moins immersives.
La France n’échappe pas à cette rareté mais il est intéressant de souligner trois initiatives récentes issues de compagnies théâtrales innovantes et non conventionnelles :
- « Smoke Rings » par la Compagnie du Libre Acteur (au Ciné 13 Théâtre à Paris jusqu’en Mars)
Une initiative de théâtre déambulatoire au sein d’un théâtre dont la scène et les coulisses sont accessibles au public qui y découvrira le jeu des acteurs. L’expérience est immersive au sens de la déambulation et du lieu spécifique bien qu’il s’agisse d’un théâtre car des espaces inaccessibles y sont ouvert. La frontière entre acteurs et spectateurs est gommée dès l’entrée dans le bar du théâtre ce qui n’est pas pour déstabiliser un public parisien habitué à plus de conformisme !
La pièce faite de plusieurs saynètes généralistes sur le thème du couple moderne ne demande pas de scénographie et de décors hors du commun et les contraintes habituelles de sécurité (Equipement Recevant du Public) sont satisfaites par une limitation du nombre de spectateurs.
Cet article du Parisien propose une intéressante interview de Sebastien Bonnabel, le metteur en scène :
Qu’est-ce que le théâtre immersif apporte comme plus-value à vos yeux ?
SÉBASTIEN BONNABEL. Une liberté au spectateur qui peut, d’un coup, vivre une expérience plus sensorielle, physique. Quelque chose de beaucoup plus vivant. Il a la possibilité de se positionner comme il veut, de changer de place, de point de vue. Et puis, on peut s’adapter à n’importe quel lieu. J’aime bien le Ciné XIII, l’idée notamment d’amener les gens sur scène. Mais on peut aussi aller hors les murs.
Comment avez-vous découvert ce procédé ?
En travaillant sur la pièce « Closer ». En anglais, ça veut dire « tout proche », « tout contre ». Alors, j’ai pensé à ça, rapprocher le spectateur des acteurs. J’ai commencé à regarder et c’est comme ça que je me suis intéressé au théâtre immersif qui existait déjà en Angleterre et à New York. Je suis allé voir la compagnie Punchdrunk qui a plusieurs spectacles immersifs avec des budgets de films à Londres. Ça m’a énormément plu.
Est-ce que vous pensez que ce genre de spectacles peut se développer à Paris ?
J’y crois beaucoup. Comme la réalité virtuelle dans le jeu vidéo, ce sont de nouvelles approches dans l’air du temps. Il y a une relation individuelle particulière. Mais cela crée aussi du lien dans le public, ça ramène de l’expérience sociale au théâtre. Selon les groupes, on observe de la connivence entre spectateurs.
Est-ce que ça implique une écriture particulière ?
La pièce que nous avons adaptée avait d’abord été montée, avec succès, de manière classique. Là, l’auteur (Léonore Confino) a travaillé avec nous pour rajouter certaines scènes car il y a plusieurs parcours. En fait, il y a un travail d’écriture à repenser pour ce genre de spectacles car le théâtre immersif, c’est plusieurs pièces dans la même pièce.
Pour Smoke Rings, les spectateurs se déplacent dans tous les espaces du Ciné XIII (loges, scène, bar, etc. ) et assistent au jeu des comédiens dans la plus grande proximité. L’immersion est tantôt contemplative tantôt participative. Elle transforme le rôle passif du spectateur en l’impliquant sensoriellement dans l’histoire.
Compagnie du Libre Acteur / Sebastien Bonnabel
Source : / Le Parisien
- Collectif In Vivo
Ce collectif se revendique entre autre des « arts immersifs » et des « arts numériques ». Il propose pour ses expériences théâtrales et ses installations de revêtir des masques de réalité virtuelle.
Ce collectif s’est créé en 2011 autour de l’idée de générer la narration à partir de la perception et des sensations ressenties par le public.
Sa dernière création – 24/7 – qui commence sa diffusion dans différentes salles françaises propose à quarante spectateur de se mettre à la place d’un cobaye expérimentant dans un avenir proche une technologie nouvelle permettant de récupérer une nuit de sommeil en seulement trente minutes.
Les premières critiques commencent tout juste à arriver.
- Bigdrama
Citons enfin cette compagnie qui propose pour l’instant des spectacles immersif privés ou évènementiels mais qui pourrait bien faire plus à l’avenir.
Ces initiatives montrent comment la créativité permet de dépasser les contraintes budgétaires pour offrir au public des expériences toujours nouvelles. La diffusion de ces expérimentations en entrainera d’autres et permettra d’attirer metteurs en scène, acteurs et public à ce genre nouveau et encore trop rare.
L’étape suivante sera alors la sortie du théâtre et le détournement de bâtiments actifs ou même abandonnés en attente d’une transformation.
La rencontre d’une troupe motivée et d’un animateur d’urbanisme transitoire serait alors la meilleure chose qui pourrait arriver à cette discipline.