En 2012, les images de leur « Pont-Trampoline » sur la Seine, produites à l’occasion d’un concours international d’idées, ont fait le tour de la planète. Mais limiter la réflexion de l’agence d’architecture AZC (Atelier Zündel Cristea) à ce buzz médiatique sera bien injuste tant leur travail et leur apport sur la place du ludique et du récréatif dans l’architecture et l’urbanisme d’aujourd’hui est inédite et novatrice.

Funfairciy est donc allé à la rencontre de ces fun architects pour en apprendre plus et saisir leur point de vue unique de concepteurs d’espaces de vie et de bonheur.
Quel regard portez-vous sur la multiplication des nouveaux lieux des loisirs en ville, relatés par l’observation de Funfaircity (escape game, trampoline parks, réalité virtuelle, aires de jeux couvertes pour enfant, simulation, expériences immersives, …) ?
Ce n’est pas une nouveauté que le besoin de s’amuser surtout dans les grandes villes. Et surtout ce besoin n’attend pas les planifications urbaines !
L’apparition de nouveaux loisirs n’est pas forcement liée à des lieux précis, tant elle est rapide et souvent volatile. Tout lieu est susceptible de devenir un espace de jeu, de culture ou de sport, sans un aménagement trop lourd. Dans le grand magasin, dans l’immeuble de bureaux ou sur le parvis de la mairie, il est possible d’aménager le cadre des nouvelles activités. On peut par exemple installer une piscine olympique démontable sur un parvis suffisamment grand.
Pour nous, c’est très excitant car cela invite à regarder les espaces autrement. Au lieu de concevoir des bâtiments à usage dédié, on doit pouvoir attribuer des multiples fonctions aux espaces construits. Les bâtiments les plus durables sont des structures optimisées, confortables, faciles à transformer et aménager.

Quelles sont, selon vous, les conditions urbaines requise pour la création puis la pérennisation d’un lieu de divertissement en ville ? Vos projets « Bouncing Bridge », « Water Invader » et « Flower Pavilion » ont pour point commun légèreté, démontabilité et mobilité. Est-il plus simple d’apporter du fun dans la ville lorsque celui-ci est temporaire, un peu sur le modèle des fêtes foraines ?
Il y a deux exemples très connus d’installations temporaires pérennisées par la suite, la Tour Eiffel et l’Atomium de Bruxelles, deux projets lancés pour des expositions universelles. La Tour Eiffel a réussi sa pérennisation, car esthétiquement elle est fascinante et demeure seule à offrir une vue époustouflante sur Paris. Au contraire, le réseau de sphères bruxellois (monté en 1958), ne nous apprend rien en le parcourant et une fois en haut, la vue est plutôt décevante.
On parle beaucoup aujourd’hui d’innover, de réinventer. Seulement, avant d’investir de la matière et de l’effort pour construire, il est normal de se poser des questions sur la nécessité et le sens de lancer tel ou tel projet.
L’architecture temporaire permet de mesurer l’impact, l’enthousiasme, la pertinence d’un projet avant d’engager des moyens plus lourds, ou pas. Concevoir des projets sous une forme plus légère, permet de limiter les coûts et s’adapter à des demandes qui évoluent comme une mise à jour en continu.
La limitation de l’usage à un temps donné, amplifie également l’émotion de chaque expérience, car on apprécie autrement ce qui ne dure pas éternellement.
Les projets cités ont également pour point commun de pouvoir être en accès libre or l’intégration du divertissement à une architecture peut impliquer une privatisation et/ou un contrôle d’accès. Est-ce compatible ?
Pour « Peace Pavillion » que nous avons installé à Londres, dans les jardins du Childrens’ Museum, l’accès était libre et l’expérience était liée au partage du parc. Les gens sont plutôt cool quand ils se retrouvent avec des installations fragiles, mais la tentation est de se lâcher un peu, d’abimer. L’installation a été surveillée par un gardien pendant la journée.
Pour le pont trampoline nous avons réalisé un prototype, une bouée de 10m diamètre. Elle a été louée pendant un mois à un parc aquatique en Allemagne. Un parc payant, avec ou sans notre bouée. C’est un bonus, une expérience supplémentaire !
Il semble donc préférable que l’usage de ces installations soit encadré de manière professionnelle. Comment selon vous peut-on allier qualité et liberté d’expérience à une exigence de contrôle et de sécurité des personnes et des biens ?
C’est une vérité aujourd’hui, les contrôles et caméras de surveillance, n’encouragent pas la spontanéité de l’accès à des installations qui sont là pour interpeller le « public-population » comme l’entendait Michel Crespin (NRD : metteur en scène spécialisé dans les arts de la rue) : « C’est (…) le public qui se trouve dans la rue, naturellement, qu’un spectacle se produise ou pas. Le public qui représente la plus large bande passante culturelle, sans distinction de connaissances, de rôle, de fonction, d’âge, de classe sociale. Sa qualité première, le libre choix. De passer, d’ignorer, de s’arrêter, de regarder, de participer, hors toute convention ».
Mais, continuer à produire des évènements est important. Car s’arrêter signifie la mort de toute liberté. Nos installations trouvent désormais place dans des lieux, certes surveillés, mais parcourus par des milliers de gens.
L’installation que nous proposons au Futuroscope (NDR : cf. Bilan Avril), est sportive mais aussi esthétique, elle transforme le lac en un lieu attractif, qui encourage la participation et la sociabilité.
A ce propos, comment s’est initiée votre collaboration avec le Futuroscope ? Comment un prototype de votre « Bouncing Bridge » a été décliné en attraction familiale de ce célèbre parc d’attraction ?
Notre ami, qui est aussi architecte, David Joulin (ADJ : agence d’architecture) avait travaillé avec le Futuroscope, ils ont vu nos projets et nous ont demandé une esquisse pour un des plans d’eau du parc. Nous avons travaillé le projet « Lily » ensemble, avec David qui avait envie de se joindre à nous. Cette installation a été ouverte au public le 13 avril dernier.
Cette nouvelle attraction prend place dans un espace nommé « Futuropolis », ce qui est peut-être prémonitoire. D’après vous, vivre ce type d’expérience dans un parc d’attraction peut-il donner envie au public de la retrouver au cœur même des villes ?
C’est un test pour nous aussi. Le trampoline impose certaines règles d’utilisation, ça peut être difficile de devoir surveiller les installations 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Néanmoins, nous réalisons des projets sur mesure, en fonction des lieux prévus d’avance. Le projet s’adapte à des situations nouvelles chaque fois. En ville un projet sera étudié pour que ça marche.
En effet, et cela recoupe la question de l’encadrement professionnel de ces activités. Comment peut évoluer cette perception du public sur la ville pour qu’elle soit considérée comme un lieu d’expérience, de jeu, de fun autant que comme un lieu utilitaire (habiter, travailler, …) ?
Une ville réellement vivante pour tous, est riche en offres culturelles diverses et gratuites, proposées par les municipalités. La gratuité de la culture et la dissémination, encouragent la participation, l’implication et la sociabilité.
Votre projet pour un nouveau programme de bureau sur le campus Adidas est très expressif dans sa capacité à insérer des espaces de loisirs au sein d’un programme immobilier plutôt « classique ». Est-ce toujours possible ?
Les projets de bureaux fonctionnent de plus en plus avec des programmes complémentaires : hôtels, logements, espaces de sport, restaurants, commerces. Cette polarisation, assure l’autonomie et l’attractivité de programmes, surtout quand ils sont construits en dehors des villes comme c’était le cas pour Adidas.
A Paris, les bureaux sont de plus en plus souvent aménagés avec des aires de convivialité, des espaces de rencontres, etc… Un projet temporaire, est une réponse sensée dans un espace transformable à la demande.
Doit-on comprendre que les espaces de loisirs trouvent plus facilement leur place quand une programmation multiple et variée rencontre un espace commun de qualité, que ce soit au cœur de la ville ou bien en dehors ?
Entre les grands ensembles, la grande distribution et une offre culturelle qui reste est encore segmentée et cloisonnée, la vie urbaine peut être bien triste.
Nous pensons que la culture peut redonner un « supplément d’âme » à la ville. Il est possible d’instaurer une nouvelle diversité, à travers des interventions artistiques et des évènements dans la ville, dans les places, dans les transports, sur l’eau, partout où on a le droit d’emprunter l’espace public. En disséminant des arts de la rue, du sport, de la musique.

Votre ouvrage évoque les nombreuses marques d’intérêt reçues, suite aux publications relatives au Bouncing Bridge. En avez-vous reçu de similaire concernant votre projet spectaculaire pour la Battersea Station ?
Oui, nous avons eu des manifestations d’intérêt de la part des constructeurs de rollercoasters, basés en Angleterre. Mais surenchérir sur des rollercoasters hors d’un contexte précis, n’était pas notre intérêt. Le projet fait référence au Battersea Park, ancien lieu d’expositions et de foires (NDR : le Battersea Park et la Battersea Funfair avait été évoqué par Funfaircity à l’occasion d’une publication sur les attractions et les grandes expositions).
En effet, mais ce retour est tout de même intéressant. Vous n’avez pas eu d’autres manifestations, venant d’architectes, de collectivités, d’acteurs de la culture ? Comment expliquez-vous cette différence dans l’intensité et l’origine des réactions ?
Des collectivités nous ont souvent contactés pour pouvoir citer nos projets, dans des candidatures pour devenir « Capitales de la culture ». Il y a de l’intérêt, mais nous avons surtout compris que la réalisation des projets dépend surtout de l’énergie que nous pouvons consacrer à cette activité.
C’est la raison de la création de WAO, que nous avons lancé le 11 avril 2019, en présentant le projet dans le cadre de FAIRE au Pavillon de l’Arsenal à Paris.
WAO (Wild Architecture Objects) est une maison d’édition créée pour réaliser des structures et des installations temporaires, issues d’une réflexion plus large sur l’attractivité des espaces urbains.
Très intéressant, je suivrai donc avec attention l’actualité de cet éditeur d’objet ! Merci, Irina, pour ce point de vue très intéressant le temps consacré à cet entretien.
Merci !
©WAO a été créée en 2018 par Irina Cristea, David Joulin et Grégoire Zündel.
Tous les projets WAO ont été réalisés avec TP Arquitectura, spécialiste des structures temporaires, représentée par Anton et Adria Miserachs.
AZC a été fondé en 2001 avec l’idée d’explorer l’architecture et ses techniques pour améliorer nos environnements bâtis.
Propos recueillis auprès d’Irina Cristea, architecte associé, par échange de courriels entre Février et Avril 2019.