L’an dernier, le magazine Beaux Arts publiait cet intéressant article sur la nouvelle mode des musées dits « instagramables« . Il traitait de ces lieux relavant tant de l’expérience immersive que de l’opportunité d’une mise en scène de l’individu destinée à alimenter les réseaux sociaux. Initialement temporaires sous la forme d’installations « pop-up », faciles et relativement peu couteux à développer, ces lieux de loisirs d’une nouvelle génération se sont multipliés puis, pour certains, progressivement sédentarisés.
Au-delà du risque de dérive dans le plagiat artistique que souligne à juste titre la revue Beaux Arts et indépendamment de ce que l’on peut penser de cette nouvelle forme de narcissisme, interrogeons-nous quant aux lieux que cette tendance génère.
Mais avant, distinguons bien deux cas :
- Le lieu instagramable « pour lui même », qu’il ait été conçu ou non dans ce but (musée, restaurant, paysage,…)
- Le lieu instagramable « pour le visiteur », dédié à la mise en scène personnelle au travers des installations présentées qu’elles soient artistiques ou non.
La première catégorie est pour ainsi dire infinie. Elle comporte d’un coté, tous ces lieux qui se prêtent malgré eux à la capture de l’image (on disait « photogénique » avant) et de l’autre tous ces lieux qui font appel à la puissance des réseaux sociaux de l’image comme Instagram pour assurer leur promotion via les simples visiteurs ou les influenceurs rémunérés qui vont partager leur expérience auprès de leurs proches et abonnés. En découlent d’une part la monétisation de cette influence et de l’autre une stratégie de gestion et de design permettant de répondre aux « standards » du partage, du like et du clic. Et c’est là un sujet en soi.
La seconde categorie, en revanche, correspond à d’autres lieux, créés ou réaménagés dans le but essentiel de servir de décor à la prise de vue et à la mise en scène de l’individu.
Intéressons nous à ces lieux en particulier.
Tout d’abord, on y retrouve les lieux essentiels de l’art comme les musées, galeries et les fondations proposent régulièrement des œuvres immersives dues à des artistes de renom (comme Yayoi Kusama ou encore Carsten Holler, déjà cité sur le blog pour ses toboggans). Ces œuvres et installations se prêtent à l’exercice de la mise en scène, qu’elles aient été conçues ou non pour cela.

L’article de Beaux-Arts s’achève sur une référence à Team Lab et à l’Atelier des Lumières présentées comme des lieux à la fois immersifs et instagramables. Si l’immersivité de ces lieux est évidente, ils relèvent selon moi plus de la categorie du lieu instagramable « pour lui même ». Les selfies y sont bien surs possibles mais ils sont pour l’essentiel ratés du fait de l’obscurité générale, de la présence des autres visiteurs et de l’omni-presence des projections vidéo. Un lieu réellement instagramable va tout faire pour que vous réussissiez votre portrait ou celui de vos amis. Les spécialistes de l’immersif d’UXmersive ont développé intéressante notion d' »Instammersion » pour bien décrire ces différences.
Pour le reste, ce sont des lieux créés ad-hoc pour lesquels il est difficile de définir si les termes « musée », « exposition » ou encore « installation » son abusifs ou sincères. En matière d’art contemporain, ce flou est plutôt de nature à profiter à ces lieux. Et le public visé, loin de chercher l’authenticité et la rigueur artistique, va essentiellement s’intéresser à la créativité du contenu et à son potentiel de mise en scène. Et alors, les créations de décor n’ont pas de limite et en la matière c’est bien l’image qui parle le mieux …
SMILE SAFARI : Expérience éphémère débutée à Bruxelles en 2019, le Smile Safari est revenu cet été sous la forme d’un lieu permanent. Pensé pour un parcours d’une heure trente, il reprend la recette a succès de la première édition avec décors flashy, illusion d’optique et mise en scène tirées de films célèbres. Nouveauté, des lieux conçus non plus seulement pour les photos Instagram mais aussi pour les vidéo TikTok !
A noter également que ce lieu prend place dans un centre commercial (Anspach Shopping, au centre-ville) et qu’il se présente comme le plus grand lieu du genre en Europe.
MAD DIMENSION : Créé par l’équipe du Manoir de Paris, Mad Dimension se présente comme un musée instagramable éphémère devant fermer ses portes en décembre 2020. Le parcours composé de petites pièces aux décors funs et colorés prend une heure environ et coute 20 euros pour un adulte.
Des billets combinés permettent d’accéder également au Manoir.
MUSEUM OF ICE CREAM :
C’est le pionnier de l’institutionnalisation du concept de musée à Selfie avec une première installation à New York en 2016 dans un quartier alternatif. L’expérience avait rencontré un grand succès. Le Museum of Ice Cream dispose aujourd’hui de deux adresses, San Francisco et New York, mais souhaite se développer encore plus. Sur la base d’installation créatives, fun et colorées autour de l’univers rassembleur de la crème glacée, ce lieu se présente comme capable de faire la passerelle entre l’interaction dans la vie réelle et les interactions en ligne, ce qui est un assez beau résumé. Le lieu se distingue en outre par sa boutique assez fournie et ses évènements (visite de nuit, ateliers, …). Et maintenant, le musée a même créé ses propres parfums de crème glacée !

Et ailleurs : En Europe, ce lieu a notamment fortement inspiré le Museum of Sweets and Selfies à Budapest et Selfie Factory à Londres.
MUSEUM OF MEMORIES
Présent à Dallas (Texas) et dans le grand Mall of America (Triple Five Group à Bloomington, Minnesota), Museum of Memories se présente comme une galerie d’Art interactive orientée vers la positivité, la créativité et la nostalgie avec le rapport à l’enfance. Son designer est Steffi Lynn, illustratrice également connue pour ses grandes fresques murales. Compter 25$ pour une heure de parcours.

Ailleurs : Dans le même esprit, on trouve également Color Factory (New York et Houston) qui joue aussi la carte de la culture et de design avec une palette d’artistes impliqués et son partenariat avec le Smithonian Design Museum.
MUSEUM OF SELFIE
Implanté à Hollywood en Californie, le Museum of Selfie annonce tout de la suite la couleur avec son nom et jour la carte du fun et de l’excès tout à fait dans le thème de son quartier. Tapis rouge, piscine à boules/emoji, bain de pièces d’or, … Compter 25$ pour une heure de parcours. Et le « selfie stick » est même à louer sur place.

Et ailleurs : Las Vegas, Denver, Seattle,… de nombreuses villes en comptent désormais.
En synthèse, ces nouveaux lieux illustrent bien la capacité des loisirs à s’adapter aux attentes du public. Ils sont en effet capables :
- D’offrir un moment réel, fun et ludique
- De générer une communication et un bouche à oreille numérique par la simple visite. Des lieux comme Sensas intègrent bien une salle de ce type mais comme élément de fin de parcours, pour réunir l’équipe sur une photo originale.
- D’offrir une expérience conforme aux nouvelles exigences sanitaires (petits groupes de proches, salles séparées, …)
- De permettre un renouvellement de l’offre, salle par salle.
- De créer l’évènement sur un temps court (Colorama à Barcelone ou encore « Color Holiday » dans deux centres commerciaux Hammerson)
- De permettre une expérience inclusive, accessible au plus grand nombre
D’apparence plutôt futile pour qui n’a pas grandi avec les réseaux sociaux, ces lieux sont finalement très intéressant dans leur variété et leur créativité. Naturellement, ces lieux ont tout a gagner à s’assumer en tant que tel pour ne pas tromper le visiteur. Et surtout à suivre les tendances, qui changent vite à l’heure des nouvelles habitudes numériques.