Il y’à un an, Funfaircity s’interrogeait sur l’opportunité de créer encore de nouveaux grands parcs de loisirs en France. Des projets complexes, souvent controversés et toujours plus long à financer et à développer dans un environnement où l’offre de loisirs est abondante et en évolution constante.
Dans cet environnement, le fort développement des nouveaux lieux des loisirs urbains observés par Funfaircity peut alors être tout autant en concurrence qu’en complémentarité avec ces parcs de loisirs, nouveaux ou en projet. Qu’en est-il exactement ?
Pour y voir plus clair, Funfaircity s’est rapproché du SNELAC (1) afin de recueillir son point de vue sur le développement des nouveaux lieux urbains de divertissement, leur rapport aux parcs de loisirs traditionnels (qu’ils soient anciens ou en projet) ainsi que sur leur place dans l’univers des loisirs en général.
Anthony Goret, directeur de la communication du syndicat, a bien voulu répondre à ces questions.
FFC : Outre les parcs et sites de « classiques », le SNELAC compte parmi ses adhérents quelques sites que Funfaircity qualifie d’Attractions Urbaines par différenciation avec les attractions des parcs de loisirs. Il s’agit par exemples de Flyview Paris, de Koezio, de Playmobile Funpark, d’Aquaboulevard ou des ballons captifs Aérophile.
Que vous inspire le fort développement de ces nouveaux lieux des loisirs en ville ?
AG : « Dans un premier temps, je dirais que ces offres dites « urbaines » et les offres de parc de loisirs sont complémentaires. Sur les sites « traditionnels » on assiste à un phénomène de transformation vers un modèle de destination. Le secteur des sites de loisirs et culturels est caractérisé, hormis les majors, par une zone de chalandise à deux heures de trajet autour du lieu. Le marché est très local, et de fait, avec un fort taux de fidélisation. On estime le taux de revisite entre 70% à 80% pour le secteur.
Les sites de loisirs et culturels doivent donc investir régulièrement pour renouveler l’attractivité et susciter la revisite : nouveau manège, nouvelle exposition, nouveau spectacle, nouvel espace de restauration, boutique, hôtel… Au fil des décennies, ce modèle a transformé les parcs. Là où auparavant la demi-journée ou la journée suffisaient, aujourd’hui ce n’est plus le cas. La journée ne suffisant plus à vivre toutes les expériences proposées par le site, de l’hébergement thématisé est apparu. Les sites proposant de l’hébergement ont également pu élargir leur zone de chalandise, par exemple Le PAL dans l’Allier attire désormais de la clientèle venant de Suisse et de Belgique.
Fort de ce constat, les parcs de loisirs « classiques » proposent désormais des court-séjours d’un week-end ou plus pour un public familial, quand les attractions dites « urbaines » proposent des expériences de quelques heures. Les expériences urbaines se font principalement les soirs en semaine (afterwork) ou le week-end sur une cible adolescents, jeunes adultes. Pour les plaines de jeux pour enfants, la période se concentre sur le mercredi, le week-end et en période scolaire.

De façon plus globale, le divertissement est un exutoire social. Nous vivons dans une société anxiogène : crise économique, communautarisme, réchauffement climatique etc. Les sites de loisirs et culturels permettent de s’extraire, pour une période donnée, des problèmes de la vie courante et ainsi de se détourner de la réalité. »
FFC : Funfaircity a publié l’an dernier une analyse intitulée « Faut-il encore construire de nouveaux parcs d’attractions en France ?« . Elle mettait en avant la complexité croissante à laquelle font face les nombreux projets de grands sites de loisirs et dépeignait un avenir meilleur au développement de sites existants, aux manifestations évènementielles et aux attractions urbaines. Partagez-vous cette analyse ?
AG : « Cette question est délicate, et je pense que plutôt que de se la poser sous la forme « faut-il de nouveaux parcs », nous devrions envisager la question sous l’angle : « Y a-t-il encore de la place pour de nouveaux acteurs ? ».
Je pense que oui, il y a encore de la place pour de nouveaux acteurs, de nouveaux concepts, de nouvelles expériences. Pour autant, opérer un site de divertissement est un véritable métier et il y a quelques principes de réalité qu’il est impératif de prendre en compte. C’est un secteur qui a fait ses preuves, qui fonctionne très bien mais qui est très capitalistique. Les investissements peuvent être lourds, et ils doivent se faire dans la durée. Il est nécessaire de prendre en compte le marché, la localisation et de ne pas surévaluer la fréquentation et les recettes. »
FFC : Peut-on alors expliquer le développement dynamique des nouvelles attractions urbaines par leur capacité à se créer plus vite qu’un grand parc et donc plus facilement en phase avec les attentes du public ? Vers quoi cette différence d’inertie pourrait-elle mener ?
AG : « Les attractions urbaines sont, en général, moins coûteuses et plus rapide à mettre en place. Les gestionnaires ont également une capacité à se renouveler assez vite, mais il est toujours périlleux de faire des projections sur des modèles évolutifs par nature. »
FFC : Les musées, centres culturels et autres lieux du savoir emblématiques des grandes villes prennent de plus en plus le train du ludique afin d’améliorer leur image, de séduire un nouveau public et d’augmenter l’impact de leur message. Le parc zoologique de Paris pourtant récemment rénové n’avait pas suivi cette tendance et a annoncé un nouveau plan de financement du fait d’une fréquentation largement insuffisante. Quels sont selon vous les freins à l’arrivée des activités récréatives au sein des espaces de savoir malgré ce qu’elles peuvent y apporter ?
AG : « La particularité vient du côté « immortel » de la culture, du savoir et des œuvres qui transcendent la temporalité contemporaine (au sens de « à l’échelle d’une vie humaine »). Les arts et la culture étaient autrefois réservés à une élite et la difficulté réside aujourd’hui dans la démocratisation du savoir et de la culture. La logique business qui se dessine pour garantir la stabilité financière des institutions perturbe également ce rapport au patrimoine. Les freins existants sont principalement culturels.
Pour attirer les foules, les œuvres seules ne suffisent plus. De plus, il existe un savoir autour des œuvres présentées dans un site culturel (histoire personnelle de l’artiste, pourquoi la création de cette œuvre, dans quel contexte etc.). C’est là que la médiation intervient, pour apporter des connaissances aux visiteurs, quand bien même ces derniers n’étaient pas venus pour cela.
Parmi les techniques de médiation à disposition, on trouve les activités ludiques – ludiques venant du latin ludos qui signifie jeux – mais pour certains, associer le patrimoine et la culture aux jeux est une « hérésie ». Pourtant le jeu a des vertus pédagogiques indéniables, les enfants apprennent par le jeu. Par ailleurs, la tendance des serious games dans l’univers professionnel ne vient pas contredire mes propos.

Autre point, la mémorisation passe en partie par l’émotion. Les expériences, ayant un impact émotionnel fort, laissent une empreinte plus vivace dans la mémoire. Les nouvelles méthodes de médiation, plus ludiques, interactives et parfois immersives sont de puissants outils de démocratisation culturelle. Une démocratisation qui est à mon sens nécessaire pour bâtir une société éclairée. »
FFC : Ce rôle de l’émotion et de l’expérience pour l’acquisition d’un savoir me fait subitement penser à cette attraction du Futuroscope : « Les Yeux Grand Fermés » (NDR : cette attraction emmène un groupe de visiteurs sur un parcours dans le noir complet, seulement guidé par une personne malvoyante). Pour l’avoir vécue il y a maintenant plusieurs années, je suis encore marqué et je pense que c’est une expérience qui informe bien plus la société sur la réalité des personnes malvoyantes que tous les discours à ce sujet.
Cet apport du jeu et de l’expérience peuvent-ils répondre à d’autres besoins de la société ?
AG : « Aujourd’hui nous sommes inondés d’informations, on parle « d’infobésité », et il est très difficile de prendre du recul et de faire le tri face à tous ces flux de données. De plus, un grand nombre d’algorithmes utilisés dans les outils applicatifs mobiles et web opèrent des filtres pour donner le contenu le plus en adéquation avec nos idées ou nos convictions. C’est intellectuellement assez limitatif, voire appauvrissant. Je pense que le jeu et les expériences immersives, lorsqu’elles sont bien conçues, permettent à l’utilisateur de prendre conscience de réalités auxquelles il n’est pas confronté, ou d’acquérir des connaissances nouvelles. »
FFC : Une étude publiée l’an dernier par Atout France et le SNELAC évoque le thème de la Réalité Virtuelle à travers l’expérience de The Void et de certaines « augmentations » d’attractions existantes de type rollercoaster. Des lieux de loisirs exploitant cette technologie innovante sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à ouvrir (Illucity, Geekopolis, Virtual Room, Cahem,…). Ils sont de grandes dimensions et utilisent la réalité virtuelle de manière exclusive ou mêlée à d’autres activités. Cette rapidité de développement rappelle l’essor ininterrompu de l’escape game – nouveau loisirs urbain par excellence – depuis cinq ans. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
AG : « Sur des concepts novateurs, il faut souvent être le premier pour offrir une expérience unique qui soit valorisable en terme de marché. Pour susciter la visite, il faut proposer des expériences que l’on ne peut pas faire chez soi. Lorsque le concept se généralise, le côté exceptionnel de l’expérience n’est plus et il faut alors miser sur d’autres facteurs pour attirer des visiteurs.

Le secteur des loisirs et de la culture a toujours été innovant, il faut voir ces nouveaux concepts dans la durée. La réalité virtuelle, mais cela est aussi vrai pour toutes les innovations technologiques, doit être au service de l’expérience que l’on veut offrir à ses visiteurs. Cela impose donc de connaitre les attentes de sa clientèle et non de considérer que la seule expérience de réalité virtuelle suffira à l’attirer et surtout à la faire revenir.
A titre d’exemple, j’ai testé une expérience très bien conçue où la réalité virtuelle n’était qu’une faible composante d’un parcours scénique mêlé à de l’escape game. C’est chez Geekopolis à Saint Denis, on rentre dans la peau d’un agent pour mener une enquête dans un centre de recherche mis en quarantaine… Le décors et le jeu des acteurs apportent une dimension bien plus immersive que la seule application de réalité virtuelle ».
FFC : Les centres commerciaux semblent aujourd’hui les acteurs les plus à même de générer des grands lieux de loisirs même si la dynamique forte constatée par exemples aux Etats-Unis, en Angleterre ou encore en Espagne n’a pas encore démarré en France. Quelles sont selon vous les conditions requises pour associer les loisirs aux espaces commerciaux ?
AG : « Concernant les centres commerciaux, ces derniers sont mis en difficultés par les sites de vente en ligne. C’est un phénomène de réaction, pour répondre à une érosion du passage en boutique. Notre secteur d’activité a fait ses preuves, nous savons que cela fonctionne et il semble logique que les acteurs du commerce s’inspirent de notre secteur pour attirer des visiteurs.
Les acteurs des centres commerciaux travaillent beaucoup avec des opérateurs de sites de loisirs. La clé du succès réside dans le professionnalisme des opérateurs impliqués dans ces projets.

Au SNELAC, cela fait bien longtemps que nous avions identifié les centres commerciaux et grandes chaînes de magasins comme des concurrents indirects. Aujourd’hui la concurrence sera peut être un peu plus directe. Cela aura certainement un impact sur l’ensemble du marché, mais il est encore trop tôt pour pouvoir effectuer des projections réalistes. Ce n’est pas anodin si les opérateurs du divertissement travaillent avec les acteurs des lieux de commerce »
FFC : Funfaircity a conceptualisé deux tendances opposées pour les besoins de son argumentation : le « parc-ville », site de loisirs qui devient une destination à lui seul par l’adjonction d’offres complémentaires hybrides et la « ville parc » destination urbaine naturelle et lieu de vie qui intègre de plus en plus d’offres de loisirs par le jeu d’acteurs indépendants et non coordonnés. L’étude Atout-France / SNELAC anticipait un retour aux loisirs de proximité en réaction aux parcs devenus parfois « trop grands, trop chers et trop éloignés ».
En ce sens, la ville peut-elle d’après vous constituer un avenir des lieux de loisirs ?
AG : « C’est une question intéressante. Concernant les deux concepts de « parc-ville » et « ville-parc », il me semble vraiment important de bien distinguer espace public et espace privé et de rappeler la notion de responsabilité. Ce qui caractérise un site de loisirs ou culturel, c’est la notion d’espace clos et aménagé. C’est ce qui distingue les parcs des villes, fêtes foraines et autres événements externes. Cet espace privé est géré par un unique opérateur qui prend l’ensemble des responsabilités (civile, pénale, morale) et qui a une obligation quant à la sécurité des visiteurs. Dans une ville, la responsabilité est partagée entre l’Etat et les différents opérateurs privés. Une attraction urbaine n’a pas à gérer la sûreté des piétons dans la rue, elle n’a pas également à supporter les travaux d’entretien de la voirie ou le service de collecte des poubelles sur les trottoirs. Les opérateurs de sites de loisirs et culturels prennent beaucoup de risques, et assument l’intégralité de la visite.
Je ne sais pas si la ville peut devenir l’avenir des lieux de loisirs, mais les lieux de loisirs peuvent constituer une piste envisageable pour l’avenir des villes. Au-delà du concept de lieux de loisirs, je pense que la réflexion doit plus s’orienter sur l’évolution des modes de vie et sur les valeurs communes de la société.
Une chose est sûre, la proximité est un facteur clé des lieux de loisirs. »
Entretien réalisé à l’occasion du IAAPA Expo Europe 2019 à Paris puis poursuivi par courriel. Funfaircity remercie chaleureusement Anthony Goret pour son accueil, sa disponibilité et son enthousiasme à répondre à ces questions tant en professionnel qu’en passionné.
(1) A propos du SNELAC :
Le Syndicat national des espaces de loisirs, d’attractions et culturels (SNELAC) est un syndicat professionnel et patronal créé en 1983 et ouvert à tous les espaces de loisirs et culturels recevant un public familial dans un espace clos et aménagé en France. Parcs d’attractions, parcs aquatiques ou parcs animaliers, parcs à thème ou à vocation scientifique, sites culturels et sites naturels et désormais les nouvelles attractions urbaines peuvent ainsi adhérer au SNELAC afin de promouvoir leurs activités et défendre les spécificités de leur metier.
Syndicat National des Espaces de Loisirs, d’Attractions et Culturels
2 Rue de Constantinople, 75008 Paris