Depuis bientôt quatre ans, à Brest, on peut se retrouver aux Ateliers des Capucins. Un véritable « tiers lieu » au cœur de la ville, générateur de vie locale et offrant une multitude d’opportunités de rencontre. Mais les Ateliers des Capucins, c’est aussi un nouveau lieu public d’intérêt patrimonial, fierté des Brestois et immanquable pour les visiteurs. C’est également le point d’ancrage d’un nouveau quartier, lié à l’ancien par le premier téléphérique de transport urbain français. C’est enfin un projet qui a changé le statut de la ville vers celui d’une métropole. 

Alain Lelièvre (Directeur des Ateliers des Capuçins) et Thierry Coltier (Managing Partner chez Horwath HTL) reviennent sur la genèse du projet et sur le rôle qu’il joue aujourd’hui dans la ville. 

Quelle est la genèse du projet et comment un tel lieu s’est-il intégré dans l’histoire de la ville ? 

AL : Pour bien comprendre l’importance d’un tel lieu pour Brest, il faut se souvenir que la ville a été détruite à 95% pendant la seconde guerre mondiale et a ensuite dû être reconstruite. Aussi, les traces bâties du passé sont rares et les Ateliers des Capucins font partie de ce rare patrimoine. Au 19e siècle, ces ateliers ont accueilli la construction navale militaire et faisaient alors partie d’une véritable cité interdite accessible à ses seuls travailleurs. 

A partir de 2004, l’armée réorganise ses implantations sur le territoire national et décide de se séparer du site de Brest. En 2005, Brest métropole initie donc, avec l’Etat, la Marine, la région, le département et la caisse des dépôts, un projet de réaménagement et de réhabilitation du plateau, dans le but de redonner vie au quartier. La cession du terrain ainsi liberé aura finalement lieu en 2012. Il s’agit d’un vaste site de 16ha, lourdement pollué et plutôt enclavé mais ayant l’atout d’être tout à fait central dans l’agglomération. 

De nombreux projets sont alors esquissés et mis au point au moyen d’itération successives entre les parties prenantes (collectivités, associations, entreprises, …). L’idée d’un « Pôle Media » est un temps envisagé. Les acteurs s’accordent toutefois sur un objectif initial très clair, celui de rendre aux habitants ce site autrefois très confidentiel. Deux projets d’importance vont ensuite permettre de structurer le programme et lancer réellement l’opération de réhabilitation :

  • Un cinéma multiplexe, dont les implantations en périphérie sont refusées par la collectivité. 
  • Une médiathèque de 10 000 m2 transférée d’une autre implantation vétuste en centre-ville.  

Le grande nef centrale et les espaces ouverts sous les toitures en shed sont retenus comme des espaces libres, laissé à l’appropriation des visiteurs. C’est là que l’on trouve les anciennes machines-outils des ateliers, conservées et valorisées. L’idée est alors d’observer les comportements et de décider plus tard d’une éventuelle fonction. 

Des surfaces complémentaires commerciales sont ensuite construites pour compléter l’offre (restauration, boutique, loisirs) et générer d’autres revenus au bilan d’exploitation du lieu. Puis, en Novembre 2016, après quatre ans de travaux, les Ateliers ouvrent au public avec le nouveau téléphérique urbain qui le relie au centre-ville.

TC : Horwath est tout d’abord intervenu en amont de la définition du programme afin d’étudier le potentiel touristique du lieu. Le site est rapidement apparu comme en capacité d’offrir de bonnes opportunités de développement en matière de loisirs et tourisme, notamment en tourisme d’affaire et activité MICE. Ceci donnant alors une nouvelle dimension à ce secteur d’activité sur le territoire de Brest.

Quel rôle joue aujourd’hui un lieu comme les Ateliers des Capucins dans la ville de Brest ? 

AL : Les Ateliers représentent 35 000 m2 utiles, en pleine propriété de Brest Métropole. Sa gestion et son animation sont effectuées par la Société Publique Locale « Les Ateliers des Capucins ». C’est un outil résolument au service du public, dont le bilan d’exploitation est financé par la collectivité. Les ateliers ont été le point d’ancrage du développement d’un nouveau quartier de 12 hectares ou sont réalisés plus de 700 logements, un parking, des résidences gérées et encore de l’hôtellerie. C’est au total un investissement public de près de 100 M€. 

Aujourd’hui, les Ateliers jouent le rôle d’un vrai « tiers lieu », espace de vie et de rencontre où il y’a toujours quelque chose à faire ou à voir quand on ne veut pas rester chez soi. Cela a inspiré notre slogan « Melting Place ».

Parmi l’offre proposée : 

  • Un cinéma : Son programme a été l’objet d’une longue mise au point depuis la programmation initiale et aboutira début 2021 à l’ouverture de cinq salles. 
  • La médiathèque publique : Elle est d’une conception totalement contemporaine et offre outre les médias habituels, une large place aux jeux (plateau ou même écran) et activités ludiques. 
  • Les commerces : plusieurs boutiques créatives et des restaurants 
  • Les loisirs : un site d’escalade Climb Up et un espace de réalité virtuelle Illucity ouvert cette année 
  • Des espaces de travail : en coworking, incubation d’entreprise, Village by Crédit Agricole, la French Tech Brest +. 

Sans oublier le téléphérique, un moyen de transport urbain innovant devenu une véritable attraction touristique de Brest et une expérience de visite indispensable (NDR : Les Ateliers et le téléphérique sont respectivement n°2 et n°6 des activités recommandées à Brest par Trip Advisor). 

Les Ateliers, ce sont aussi de très nombreux évènements dans la nef ou les espaces ouverts à disposition. Danse, théâtre, expositions, … on y organise près de 160 évènements par an. Peut-être un peu trop car nous nous éloignons parfois de l’équilibre que nous recherchions entre une animation attractive indispensable à sa fréquentation et une quiétude inspirante des espaces ouverts recherchée dans le concept initial. Les Ateliers accueillent également séminaires et évènements d’entreprise. 

Au total, nous avons enregistré 3,5 millions de visites depuis l’ouverture (une moyenne d’un million par an). La fréquentation reste très locale au long de l’année mais elle est appréciée des touristes, surtout l’été où ils représentent l’essentiel des visites. 

Les Ateliers des Capucins jouent le rôle d’une extension du centre-ville de Brest et par la même occasion génèrent un déplacement du barycentre de la métropole vers l’autre rive du fleuve. C’est aussi maintenant un vrai lieu de mémoire et de fierté des Brestois.

Ceux y ayant travaillé peuvent maintenant le faire visiter à leurs proches. Pour ce qui est de l’impact du lieu sur son environnement urbain, nous retenons que la fréquentation des Capucins a globalement profité aux restaurateurs et commerces situés sur l’autre rive du téléphérique et que son image est devenue, depuis peu, un atout immobilier avec une mention « proche des Capucins » dans les petites annonces. » 

TC : Une fois le site en exploitation, il était important de définir son positionnement et son image d’un point de vue du marketing. Nous avons alors recommandé de privilégier l’organisation d’évènements ciblés et éphémères sur les espaces plutôt que d’y retenir une affectation fixe. Le dynamisme de l’animation du lieu devait selon nous primer sur la perception de loyer commerciaux. Les Ateliers n’organisent pas d’événements en tant que tel et sont surtout une structure qui les accueille. De ce fait, le lieu a rapidement été identifié comme point d’attractivité touristique en complément d’Océanopolis, la seconde « locomotive » du développement touristique de la ville.

Océanopolis et Les Ateliers des Capucins, appréhendés en complémentarité, ont pour ambition de faire de Brest une destination désirable pour de courts séjour. Cette destination associera d’autres activités nature et maritimes et pourra bénéficier d’une notoriété nationale et internationale. 

Dans ce ensemble très atypique, comment appréhendez-vous la place des loisirs et divertissements ? D’autres développements sont-ils prévus ? 

AL : Les nouvelles activités de loisirs urbain ont une réelle place dans le mix programmatique retenu. En effet, elles sont une manière d’attirer une nouvelle génération de Brestois. Elles contribuent à générer une animation et une activité fidèle à l’esprit du lieu. 

La première règle que nous avions fixé était d’accueillir des lieux loisirs, inexistants à Brest, afin de créer une nouvelle offre et non de déplacer une offre existante.

Climb Up a donné une nouvelle dimension à la grimpe indoor brestoise (des blocs s’y trouvaient déjà ailleurs mais pas de murs ou de grimpe ludique). Un lieu comme Illucity n’existe qu’à Paris et Marseille. Retenons également que le cinéma est conçu pour renouveler l’expérience de vision d’un film par une série d’innovations. 

Notre seconde règle était de respecter un savant dosage permettant de préserver l’esprit multi-activité du lieu. Aussi il n’y a pas d’autres implantations prévues. Les derniers développements des Ateliers seront l’ouverture du Fourneau (Centre national des arts de la rue et de l’espace public et du 70.8 by Océanopolis (un centre d’innovation et de recherche sur la mer) 

TC : « Devenu marqueur de territoire et lieu de rassemblement pour sa population, les Ateliers veulent maintenant permettre l’émergence de nouvelles idées. C’est l’objectif du « Creuset », une expérimentation en cours de développement qui permettra l’utilisation des différents espaces des Ateliers pour la création de projets d’intérêt général dans de multiples disciplines. Etudiants, actifs et retraités pourront ainsi se réunir librement aux Ateliers pour mettre leur temps et leurs compétences au service de projets devant être financés par un fond de dotation. Le territoire compte quelques références qui serviront d’exemples, le thème de l’océan s’est évidemment imposé.

Cette initiative va permettre aux Capucins d’être un véritable « tiers lieu » au sens suivant : des personnes (people) + un territoire (places) + des actions (process).

Les Ateliers des Capucins pourraient, pourquoi pas, initier un nouveau mouvement tel qu’un « club des tiers lieux » et servir de référence à d’autres projets.


Un grand merci à Alain Lelièvre et Thierry Coltier pour leurs témoignages respectifs. Propos recueillis au téléphone entre Août et Septembre 2020. Une première publication en anglais a été effectuée sur le blog Reinventing Retail Industry.