Voici un portrait qui est en préparation depuis longtemps !
L’interview qui l’a rendu possible fut souvent reporté, ce que le quotidien intense de mon invitée permet aisément d’expliquer. Mais il était important qu’il puisse aboutir, afin de mettre en lumière un lieu qui le mérite particulièrement. Et à travers lui : son histoire et ses protagonistes.
Lou a grandi en France. Sa formation aux Beaux-Arts la destine à évoluer dans le monde de la culture, de la photo et du design intérieur, des sujets qui la passionnent. Il y’a dix ans, son parcours personnel et les hasards de la vie l’emmènent en Belgique où elle vit encore aujourd’hui. A son arrivée, il n’est pas évident de travailler dans le monde de la culture, un milieu qui exige souvent un réseau professionnel important. Alors elle travaille dans la vente au détail.
Tout va changer à la naissance de son second enfant, il y a sept ans. Ayden souffre d’un syndrome poly-malformatif et nécessite une prise en charge médicale très importante et de lourdes opérations.
Après un congé spécial lui permettant d’accueillir Ayden, Lou reprend le chemin du travail. Mais au bout d’un an, la pression conjuguée issue de son métier et de sa vie familiale est trop forte et Lou souffrira d’un burn-out. Elle en sortira après une période de réflexion, de déculpabilisation et d’échange.
C’est à la naissance de son troisième enfant qu’elle ressent le besoin de réunir deux mondes, celui du handicap et celui des « valides ». Accessibilité, services, accompagnement, poids du regard des autres, … Lou sent qu’il est nécessaire de créer quelque chose où ces deux mondes peuvent exister ensemble, à l’image d’un lieu où ses trois enfants pourraient jouer ensemble.
Tout devient ensuite très clair pour Lou qui se lance dans l’aventure entrepreneuriale fin 2018 afin de créer un lieu de vie et de loisirs le plus inclusif possible. Elle utilisera une structure dite ASBL (voir le détail de la création en fin de portrait). Recherche de réseau local, de lieu, de financement… au total c’est plus d’un an de développement.
En 2020, Le Monde d’Ayden ouvre au public à Uccle, en banlieue de Bruxelles. Et ce malgré l’année noire du covid.
Trois ans plus tard, le Monde d’Ayden est un lieu bien vivant. A la fois espace culturel, de jeu et d’expérimentation, il accueille une vraie parité de public. C’est une adresse de quartier autant qu’une destination pour des parents concernés à la recherche d’un lieu de vie et de loisirs différent pour leur enfant. C’est surtout un lieu de rencontre et d’échange autour de stages, d’évènements, d’apéro ou simplement de moments de déconnexion.
Et pour ne rien enlever à la qualité du lieu, précisons qu’on y retrouve toute la fibre artistique de sa créatrice, manifeste ici par un vrai souci du décor et des équipements immersifs.
Bienvenue à Lou Garagnani !
Vos sorties loisirs préférées (après Le Monde d’Ayden bien sûr) ?
J’adore sortir à Sparkoh! ou à Technopolis. Ce sont des musées des sciences laissant une grande place à l’expérimentation. C’est très inspirant pour moi et les enfants adorent.
Depuis peu, j’apprécie les grandes expositions immersives dans des lieux tels que La Vallée (Magnetic Flow) où l’Atomium. Mais ces lieux ne sont pas adaptés aux situations de handicap.
Vos souvenir « loisirs » les plus marquants ?
C’est autant la Cité des Sciences de La Villette à Paris que les jeux que nous faisons dehors dans le sud où j’ai grandi. On était vraiment petits, on referait plus ça aujourd’hui je pense !
Ce qui vous plait le plus dans le divertissement ?
C’est de rendre possible l’expérimentation et l’immersion dans « autre chose ». C’est d’apporter plus que le simple « jeu » et de permettre d’apprendre à travers lui. Le rapprochement de jeu de de la culture me fascine.
Ça représente quoi pour vous un lieu de loisirs dans la ville ?
C’est un lieu qui permet la rencontre et autour duquel peut exister un réseau, une communauté. A Uccle où se trouve le Monde d’Ayden, je suis reconnue partout. Un petit esprit « village » dans une grande capitale européenne.
Votre ville préférée ?
J’ai eu un vrai coup de cœur en visitant Florence mais je ne vivrai pas ailleurs qu’à Bruxelles ! Rien qu’à deux heures autour de la ville, il y a tellement de choses à découvrir.
L’enjeu des métropoles de demain selon vous ?
D’être pleinement accessibles à tous ceux qui y vivent. Cela passe par beaucoup de paramètres mais l’inclusivité dans l’aménagement en fait partie.
Votre premier projet d’entreprise ?
A 12 ans j’ai créé un service de lavage auto pour les voisins du quartier avec des flyers de publicité et tout ! Je me suis payé une mobylette avec ce que j’ai gagné ! A part ça, c’est le Monde d’Ayden !
Votre devise ?
L’inclusion fait la force !
Pour finir, un conseil à donner à ceux qui veulent se lancer ?
Ne pas louper la première étape : en parler autour de soi, trouver des ressources, de l’aide. On ne fait rien seul.
Et spécifiquement sur le sujet de l’inclusion, il faut se rappeler qu’il n’y a pas de manuel et que les handicaps sont multiples. Il faut écouter et comprendre pour mieux se mettre « à la place ».
Un mot sur l’actualité ?
Avoir un recul de trois ans me donne maintenant envie d’améliorer encore et de développer le Monde d’Ayden. Je renouvelle souvent mes installations pour que le lieu soit plus inclusif encore. Aujourd’hui il fonctionne sur un mode extra-scolaire. J’aimerai évoluer vers un modèle où il puisse servir de support au scolaire, à l’apprentissage.
En même temps, je travaille à créer d’autres implantations en Belgique.
En travaillant à ce projet, j’ai développé une expertise en matière d’aménagement inclusif. J’ai notamment pu fournir des conseils quant à l’aménagement de jeux extérieurs dans une école spécialisée de la ville.
Enfin, j’aimerai intégrer plus de réseaux d’entrepreneurs sur des projets à forte valeur sociétale et créer une fédération de la parentalité.
Question « Bonus » : Pouvez-vous nous détailler le montage d’un lieu comme le Monde d’Ayden ?
Concrètement, pour le Monde d’Ayden, j’ai retenu la structure belge ASBL (Association Sans But Lucratif). Elle permet une activité commerciale avec une gestion assez comparable aux autres entreprises (TVA, charges diverses,…) mais elle est exemptée d’impôts sur les sociétés en échange du réinvestissement des bénéfices dans le but social. Cela peut passer par du développement, des invitations, de nouveaux équipements.
Pour la création, je me suis appuyé sur deux réseaux belges : Crédal et UpBruxelles. Le financement a nécessité de multiples sources. J’ai eu un prêt bancaire solidaire de Triodos, une banque éthique et durable, j’ai fait appel au crowdfunding, j’ai eu des dons, des prêts personnels et des prêts de fondations spécialisées sensibles au projet. Mais je n’ai pas eu de subventions publiques.
Cela a limité mes capacités d’investissement alors que certains des équipements que j’utilise sont coûteux. L’écran par exemple, c’est de la location.
Mon équipe est constituée d’une dizaine de personnes ainsi que d’étudiants qui viennent effectuer de l’accueil et de l’animation. J’ai une cuisine qui demande pas mal de personnel. Et l’inclusivité concerne aussi mon recrutement car une personne sur trois est en situation de handicap.
Aujourd’hui, mon bilan fonctionne avec 86% de recettes propres à l’exploitation du site. J’en retire un sentiment de réussite et cela me donne pas mal de liberté. Pour le reste, je participe souvent à des appels à projets pour obtenir des recettes complémentaires. Mais ce sont des petits montants et ces processus demandent du temps et de l’énergie.
Merci à Lou Garagnani pour ce portrait !
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