La réouverture ce mois-ci du Jardin d’Acclimatation et les récentes publications rappelant la genèse du premier parc Disneyland associée à la visite par Walt Disney des Jardins de Tivoli à Copenhague m’ont donné envie de rééditer une publication effectuée il y’a une dizaine d’année pour le magazine professionnel « Loisirs & Attractions », qui n’existe malheureusement plus aujourd’hui et, dans une version un peu différente et malheureusement inachevée, pour le site Parkothek.

L’article est présenté dans sa version originale et agrémenté de liens, d’illustrations et de commentaires. Bonne lecture !

 

Des feux d’artifice à Saint Lazare. Une montagne russe au bord des Champs-Elysées. Des spectacles en plein air à la porte Maillot. Un rêve ? Non, une réalité…vieille de 200 ans.

Quel a été le premier parc de loisirs ? Beaucoup répondent Disneyland en Californie en 1955, certains proposent Tivoli Gardens à Copenhague en 1846, mais très peu savent que le parc de divertissement que nous connaissons aujourd’hui est en fait né dans le Paris agité de la seconde moitié du XVIIIe siècle. L’origine des parcs de loisirs est directement liée à l’histoire des jardins. Depuis l’Antiquité, ils sont à l’origine de légendes et de récits. A la Renaissance et pendant la période Baroque, ils inspirent des artistes comme André Le Nôtre. Ils sont alors le décor d’une intense vie de Cour faite de promenades et de fêtes en plein air.

Dans le Paris du XVIIe siècle, il n’y a qu’un jardin, les Tuileries, réservé à la Cour du Roi, on s’y préserve de la saleté de la ville. Le peuple, lui, se divertit hors de la cité, dans les guinguettes, lieux de fête temporaire en plein air, où l’on trouve quelques prémices d’attractions : les balançoires. A l’ouverture du jardin du Palais Royal au XVIIIe siècle, première alternative aux Tuileries pour le divertissement d’extérieur, les nobles se mettent à transformer leurs propriétés parisiennes en somptueux jardins et y organisent des grandes fêtes. Les Folies sont nées (1).

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Source : Les jardins de Tivoli

Boutin, receveur général des finances, ouvre son parc en 1771 dans le quartier de Saint Lazare. La moitié des huit hectares de la propriété est aménagée en jardins d’agrément de styles français, italien et anglais. Son nom, Tivoli, vient de cette ville italienne, près de Rome, célèbre pour ses jardins Renaissance. En plus du parc, la propriété de Boutin accueille des activités de recherche scientifique, véritables attractions spectaculaires pour les invités (2). L’objectif est d’offrir du divertissement car s’il faut être invité pour entrer aux Folies, on verse une participation. Ces nouveaux lieux occupent désormais une place importance dans la vie sociale.

Le premier « parc de loisirs »

La Révolution Française marque un tournant dans l’histoire des jardins de divertissement. Les Folies sont fermées, leurs propriétaires souvent arrêtés ou exécutés. Tel est le sort de Boutin qui voit son parc déclaré « Bien National ».

Le renouveau des Jardins de divertissement arrive avec le Directoire en 1795. L’ambiance est à la détente après des années de Terreur. Tivoli est alors exploité comme « Jardin-Spectacle public » et devient accessible à l’ensemble du peuple. C’est en quelque sorte l’ouverture du tout premier parc d’attractions. Le succès est immédiatement au rendez vous. On organise de grandes fêtes, des représentations théâtrales, des feux d’artifice et des envols de ballons. Apparaissent aussi les premiers emplacements loués aux forains.

A cette époque Tivoli n’est pas le seul jardin de divertissement parisien, la concurrence est rude et le développement des attractions devient primordial. C’est à partir de 1815 qu’arrivent à Paris les montagnes russes : de grands toboggans que l’on descend à bord d’un chariot équipé de roues. On en trouve dans tous les parcs, chacun déposant son brevet (3). A Tivoli bien sûr, mais aussi dans d’autres plus petits comme celui des collines de Belleville. La plus remarquable des montagnes russes parisiennes est sans doute celle du jardin Beaujon, ouverte en 1817 au bord des Champs-Élysées. Pour son inauguration, on recourt à une forme de marketing toujours actuelle : journalistes et personnalités sont invités à tester l’attraction en avant-première.

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« Promenades aériennes. Jardin Baujon (sic), honoré de la présence de sa Majesté, le 2 août 1817. » Lithographie, 1817, coll. Brown Univ.

Pourtant 1825 sonne le glas de la plupart des parcs parisiens et de leurs impressionnantes montagnes russes, devenues trop dangereuses. De plus, la spéculation foncière mine la volonté des entrepreneurs du loisir qui voient leurs terrains rachetés. Tivoli ne fait pas exception et ferme pour toujours. A sa place est construit le quartier de l’Europe, et à son achèvement en 1865, on ne trouve plus aucune trace du parc.

Une mutation nécessaire

Un « Nouveau Tivoli » tente bien d’ouvrir non loin de son illustre prédécesseur, mais après une vague d’engouement il subit finalement le même sort en 1840. Avant de fermer, il inspire néanmoins Georg Cartensen qui ouvre le « Tivoli Gardens » à Copenhague en 1846, avec le succès que l’on sait (4) !

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Source : visitcopenhagen.com

De 1855 à 1900, la grande période des expositions universelles apporte le renouveau nécessaire au divertissement. Elle génère un ensemble étrange d’attractions, de musées scientifiques et d’expériences grandeur nature. Cette période fait l’objet d’un débat constant entre partisans et opposants à la présence d’attractions dans les expositions. La dimension ludique de la science est au centre du problème, une question qui se pose encore de nos jours, notamment à propos du Bioscope (5) en Alsace.

En 1909, une nouvelle fête foraine permanente voit le jour à Paris, Porte Maillot. Elle est gérée par une société américaine sur le modèle d’autres parcs étrangers. Sous le nom de Luna Park, elle propose un « Scenic Railway », un « Water Chute », un « Boat Ride / Dark Ride», ainsi qu’une multitude de petites attractions et spectacles. L’entrée coûte un franc et donne accès à une attraction, de treize heures à minuit. Ce parc ne survit pas à la seconde guerre mondiale et ferme en 1950. A sa place se trouve actuellement le Palais des Congrès.

Porte Maillot - Luna Park

Dans un passé plus proche, les échecs simultanés de Mirapolis à Cergy Pontoise et de Planète Magique à Paris font écho aux déboires passés de Tivoli et de Luna Park. On ne saura jamais ce que serait devenu le Tivoli parisien (6), mais le bouleversement de l’industrie du divertissement lié à l’évolution du public, des territoires et à l’apparition de loisirs concurrents a forcé les parcs à s’adapter. L’ouverture en 1955 de Disneyland en Californie est sans aucun doute l’emblème de ce renouveau (7).

 

Source / Bibliographie : Folies, Tivolis et Attractions de Gilles Antoine LANGLOIS (ed. Délégation à l’action artistique de la ville de Paris, 1991).

Notes :

  1. A Londres, le public se divertit déjà dans les Vauxhall, des jardins à thèmes offrant spectacles et divertissements. Des jardins de type Vauxhall verront le jour dans la plupart des grandes villes d’Europe.
  2. On perçoit déjà ce rapport entre science et spectacle qui sera au cœur des expositions internationales du siècle suivant.
  3. Cette course au brevet et au sensationnalisme inspirera même une pièce de théâtre.
  4. Un succès désormais complété par la perspective d’inspirer des années plus tard ce qui deviendra la référence indiscutable des parcs d’attractions. Les danois ont été bien inspirés d’éviter que ce parc, admirablement situé entre la gare centrale et l’hôtel de ville soit transformé en une bête opération immobilière de logements.
  5. Initialement conçu par le groupe Compagnie des Alpes comme un parc ludo-éducatif sur le thème de la vie et de l’environnement, le Bioscope a été vendu en 2013 au groupe Aérophile (spécialiste du ballon captif touristique) qui en a fait le Parc du Petit Prince. Le parc se porte bien et est en phase de développement.
  6. Le parc d’attraction urbain continue de nourrir les interrogations et réflexions de certains urbanistes français, dont Acturba. Funfaircity a récemment proposé quelques références illustrées de parcs d’attraction urbains qui ont conservé leur place en ville.
  7. Un renouveau marqué également par un changement de modèle entre les loisirs « des centres-villes » en concurrence avec les autres activités immobilières et le loisirs « destination » associé aux nouvelles mobilités populaires (voiture particulière) et à un nouvel imaginaire du divertissement.