Le quatrième chapitre de la présentation des grands parcs d’attraction urbains est cette fois consacré à un seul parc. Mais Liseberg est probablement des meilleurs parcs d’attraction d’Europe et un des plus grands à être situés aussi proche d’un centre historique, celui de Göteborg, la seconde ville suédoise. Ça valait bien cette exclusivité ! Surtout que pour l’occasion son président et CEO Andreas Andersen, professionnel connu et reconnu de l’industrie des parcs de loisirs a bien voulu répondre à quelques questions.
Liseberg, c’est d’abord une part du patrimoine local. Créé en 1923 comme un jardin de divertissement éphémère à l’occasion d’une exposition célébrant les 300 ans de la ville de Göteborg, le parc a traversé les années pour devenir un lieu de vie majeur de la ville. Il a régulièrement été agrandi et modifiait presque chaque saison son offre d’attractions avec des nouveautés et des retraits. Encore récemment, une des montagnes russes du parc laissait sa place à une autre nouveauté majeure… Aujourd’hui, on y trouve de nombreux restaurants, des salles de spectacle, de concert et de danse dans un grand parc paysager. L’année est ponctuée par plusieurs saisons thématiques, évènements et festivals.
Liseberg, c’est ensuite un véritable parc d’attraction. Avec 18 hectares – l’équivalent du Jardin des Plantes à Paris – c’est le plus grand parc d’attraction du pays. Il compte une quarantaine d’attractions et de jeux pour tous les goûts dont six montagnes russes reconnues pour leur qualité. Dernier ajout en 2018, Valkyria, un « Dive Coaster » qui vous entrainera dans une chute verticale de 50 mètres (voir la vidéo on-ride ci-après). Le parc totalise plus de 3 millions de visites annuelles. Il fonctionne en « pay per ride », c’est-à-dire que les tickets d’entrée (environ 12 euros) sont distincts des tickets ou pass journée pour les attractions (compter 38 euros pour un pass illimité). Une alternative au ticket unique qui permet d’entrer au parc pour profiter de son cadre sans faire de manège notamment en accompagnant ses enfants ou petits-enfants.
Liseberg est également un bien public. Il est exploité par un groupe d’entreprise appartenant à la municipalité qui est associée aux principales décisions. Liseberg publie sa vision, sa mission et ses valeurs. Enfin, Liseberg publie annuellement son rapport environnemental. Le parc est localisé à moins de deux kilomètres du centre historique. Il est traversé par une rivière et longé par une voie rapide. Le parc est desservi par une gare et par plusieurs lignes de tramway. En face se trouve le palais des expositions et une grande salle de sport et de spectacle.


A cause de la pandémie, le parc est resté fermé pendant plus d’un an. Il a finalement pu retrouver son public en Juin dernier.
Liseberg, ce sont enfin des grands projets. En 2023, année du centenaire de la création du parc, deux nouveautés majeures seront ouvertes :
- Gran Curiosa : un hôtel à thème de 450 chambres avec restaurant et salle de conférence.
- Oceana : un parc aquatique à thème de 13 000 m², en grande partie intérieur afin de fonctionner toute l’année.
Le thème retenu pour ces deux nouveautés s’inspirera de l’histoire de la ville et de l’époque de la Compagnie maritime suédoise des Indes Orientales. Une belle promesse d’évasion !
Liseberg, un parc d’attraction en ville ou bien le parc d’attractions d’une ville ?
Pour aller plus loin et mieux comprendre les spécificités de ce parc d’attraction urbain et historique exceptionnel, son Président et CEO Andreas Andersen a accepté de répondre à a quelques questions.
FFC : Avec vos mots, quel est le lien le plus important entre Liseberg et la ville de Göteborg ?
AA : « Je dirais déjà qu’au-delà de la Suède, nous avons une situation un peu spéciale dans toute la Scandinavie car en effet de nombreux grands parcs d’attraction de plein air sont situés en plein centre-ville. Outre Liseberg, c’est le cas de Tivoli à Copenhague, Gröna Lund à Stockholm ou encore Linnanmäki à Helsinki. La raison est intéressante. A l’origine, ce sont des copies de lieux comme les Vauxhalls anglais ou les jardins de divertissement de Paris au 19e siècle. Ils ont souvent disparu, remplacés par des nouveaux développements comme des bureaux ou des logements.
En Scandinavie ils sont restés pour plusieurs raisons mais qui s’expliquent en grande partie par un lien culturel et l’attachement du public. Aussi, mon meilleur terme pour décrire cette relation particulière serait celui de miroir. Liseberg est un peu le miroir de Göteborg, le reflet de sa culture et du style de vie de ses habitants. On ne pourrait pas prendre un parc et l’échanger avec un autre, dans une autre ville. Ce ne fonctionnerait pas. Notre parc est un véritable produit de la ville et s’est développé avec elle au cours des 100 dernières années. »

FFC : Liseberg met clairement en avant sa vision et sa mission pour être le « cœur de la ville ». Une position plutôt rare pour un parc d’attraction. Quel en est l’objectif ?
AA : « Quand nous avons repris nos déclarations de vision et de mission il y’a deux ans, nous avons pensé que Liseberg devait être décrit comme un produit émotionnel. Sa visite est une expérience, une expérience sociale !
Nous aurions pu faire une description technique et fonctionnelle du parc. Nous proposons des attractions, des restaurants, des spectacles. Mais cela va bien au-delà. Alors nous avons préféré décrire ce qu’il va apporter au public en restant le cœur de la ville.
Pour Göteborg, nous avons essentiellement deux rôles. Le premier est celui de moteur économique touristique (25% des nuits d’hôtel sont pour des visiteurs de Liseberg). Le second est d’être un lieu de rencontre pour tous les résidents avec des jeux, des attractions, des évènements.
Au final, si Liseberg appartient à un groupe d’entreprises qui sont au final propriétés de la ville, nous retenons surtout que le parc appartient à tous les habitants de Göteborg. »
FFC : La fréquentation annuelle de Liseberg est d’environ 3 millions, soit trois fois la population de la ville (600 000 habitants) et presque un tiers de la population suédoise. Comment expliquez-vous ces chiffres ? Quel est le profil de vos visiteurs ?
AA : « En effet, notre fréquentation est importante au regard de la population de la ville et du pays. Si la ville de Göteborg compte 600 000 habitants, l’aire urbaine en représente environ deux millions. Ce qui reste un taux de pénétration très élevé. Notre fréquentation annuelle se divise en deux grands groupes :
60% sont des visites locales et récurrentes. Ce sont des visites importantes pour leur volume et leur fréquence, notamment via les pass annuels. Liseberg est un peu le jardin des habitants de la ville !
40% sont des visites en provenance de l’extérieur de l’agglomération. Les trois quarts viennent de toute la Suède et le quart restant vient des pays étrangers, Norvège, Danemark, Allemagne, France, …). Ces visites sont moins nombreuses mais elles génèrent 60% de notre chiffre d’affaire et 80% de notre rentabilité. Ces visiteurs restent plus longtemps et dépensent plus dans le parc. Ce sont des ressources très importantes pour notre modèle économique.
Göteborg est par ailleurs un pole industriel de premier plan (Volvo, Ikea, SKF, Astra Zeneka, …) ce qui nous permet également d’accueillir de nombreux évènements d’entreprise. »
FFC : Vous êtes bien placé pour comprendre ce qu’un lieu comme Tivoli Gardens représente pour la ville de Copenhague (NDR : Andreas Andersen est d’origine Danoise et a travaillé à Tivoli Gardens). Au 19e siècle, Paris a perdu à trois reprises l’opportunité de conserver « son » Tivoli, finalement emporté par la pression immobilière (NDR : voir « Un Tivoli à Paris« ).
Aujourd’hui, comment un lieu comme le vôtre peut résister aux évolutions de la ville ?
AA : « C’est une question très intéressante ! Même aujourd’hui, conserver notre place est un challenge quotidien. La pression immobilière existe toujours pour des emplacements comme les notre et il y’aura toujours une exploitation du terrain plus efficiente.
Récemment une nouvelle gare est entrée en service à coté de Liseberg. C’est une excellente nouvelle car notre accessibilité est améliorée. L’autre conséquence directe est une augmentation de la pression immobilière en faveur d’activités de commerce, d’hôtellerie, de restaurants, de services associés à la mobilité… Ces évolutions progressives font aussi que Liseberg devient de plus en plus une part de la ville. Ce sont également des ressources supplémentaires et une manière de développer les limites du parc tout en gardant son intérieur le plus paysager possible.
Mais c’est la même chose à Copenhague. A Tivoli Gardens, un tout nouvel espace à ouvert pas loin de l’entrée en remplacement d’anciens bâtiments démolis. C’est un beau projet, accolé au parc et ouvert vers la ville. On y trouve des commerces, des restaurants, un food-hall et de l’hôtellerie. C’est assez représentatif. Le risque est toutefois de voir un parc d’attraction historique devenir progressivement un centre commercial.
Il faut garder en tête que tout ce que nous faisons est temporaire. Par exemple, quand le roi a autorisé l’installation du parc en 1843, la condition était qu’il devait pouvoir être retiré le temps d’une nuit. Il était à l’époque au niveau des remparts de la ville et aurait pu poser problème en cas de conflit. D’où des constructions légères, du « papier maché », des tentes, … Nous gardons cela à l’esprit aujourd’hui. Nous raisonnons « ici et maintenant » et cherchons à ne pas verser « trop de béton ».
Mais la question peut aussi être prise à l’envers en regardant les nouvelles opportunités de lieux de loisirs. Les grands lieux de commerce résistent à l’e-commerce en faisant appel aux loisirs. Que ce soit dans les centres ou rues commerciales, l’univers du retail s’adapte et doit se penser comme expérience. Je pense qu’il a tout à gagner à s’inspirer des parcs de loisirs pour son développement, sa communication, ses investissements et sa programmation.
Peut-être que demain, il y’aura une concurrence plus directe entre centres commerciaux et parcs d’attraction. Lorsque je suis venu au Leisure Day (NDR : à l’occasion du Mapic 2019), c’est que m’a dit un représentant d’une grande foncière commerciale ! Cela m’a ouvert les yeux ! »

FFC : Les grands parcs d’attractions urbains sont assez rares et pour l’essentiel, les lieux des loisirs urbains sont des espaces bien plus petits. Vous connaissez cette activité grâce à votre implication dans les espaces de jeux indoor « Leo’s ». Quel rôle ce type de lieu doit avoir dans la ville du divertissement ?
AA : « J’ai beaucoup appris avec mon implication dans Leo’s. C’est un modèle très diffèrent : l’investissement est plus réduit, il génère beaucoup de trésorerie mais implique un remboursement rapide du financement initial.
L’exemple de Merlin Entertainment est intéressant. Les principales expansions du groupe ces dernières années se sont traduites par des attractions plus réduites, les Midway Attractions (NDR : Madame Tussaud, Legoland Discovery Centers, The Dungeons, …). Ce sont des lieux basés en centre-ville, très rentables. Ils sont aussi plus risqués et dépendent beaucoup de la qualité de leur implantation. « Location, Location, Location ! » un peu comme le commerce finalement. Ce sont aussi des lieux dont la durée de vie est probablement plus courte et qui ne doivent pas occasionner de surinvestissement. Parfois, une IP (NDR : Intellectual Property, une licence d’exploitation d’un univers thématique existant, film, série, jouet…) est requise pour se démarquer.
Mais ces lieux sont un très bel outil pour redévelopper un espace, notamment commercial. A condition toutefois de ne pas le considérer comme un simple commerce. Les opérateurs immobiliers devraient plus considérer les loisirs comme un partenaire et non comme un simple locataire. Les loisirs sont fragiles mais ils ont un pouvoir d’attraction essentiel à la dynamisation d’un lieu.
Un broker de Copenhague estimait que dans cinq ans, la moitié des activités des lieux de commerce en cœur de ville seront des expériences. »

FFC : Après plus d’un an de pandémie, particulièrement dure avec l’industrie des loisirs, comment s’est passée la réouverture ? (NDR : entretien mené en Juin 2021, quelques jours après la réouverture de Liseberg). Pensez-vous que le public est prêt à retrouver les parcs de loisirs ?
AA : « Oui, enfin nous sommes rouverts ! Notre capacité d’accueil est limitée mais nous avons déjà atteint 20% de notre fréquentation habituelle. Une longue période de fermeture comme celle que nous avons connu fait perdre un peu de confiance en soi, d’habitude et de réflexes mais c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas ! Nous sommes remontés sur le vélo et on s’y sent bien ! Nous avons beaucoup travaillé pour la réouverture, il reste encore à faire mais au final, j’en retiendrai une expérience positive.
Nous constatons une large demande du public même si nous avons conscience qu’une partie du public qui ne viendra pas encore nous visiter. Nous avons vendu en deux semaines la moitié des 700 000 billets mis en vente pour la réouverture. Les parcs comme le nôtre pourront rebondir rapidement à la fin de la crise, je ne suis pas inquiet. Ce sera probablement plus long pour les grandes destinations comme Disney ou Universal.
Mais la période a été intéressante car elle nous a forcé à nous projeter. Quel sera notre modèle à l’avenir ? Un jour habituel d’été, nous atteignons 28 000 visiteurs en une journée. Je ne suis pas certain que nous ferons à nouveau de tels niveaux. Les parcs surchargés sont peut-être une chose du passé. Le public aura probablement envie d’un séjour mieux organisé, planifié et optimisé avec des réservations par exemple. La question du prix est essentielle aussi. Nous avons un modèle économique basé sur le volume de fréquentation Allons nous passer vers un modèle plus exclusif avec des prix plus élevés ? On verra ! Mais c’est un sujet très intéressant. »
FFC : Pour cette dernière question, parlons un peu de l’avenir du parc et du projet « Jubileum » qui célèbre les 100 ans du parc. Un hôtel à thème et un parc aquatique sont prévus. Que nous disent ces grands projets de l’avenir des destinations urbaines dans le tourisme de demain ?
AA : « La tendance à l’ouverture d’hôtels par les parcs d’attraction est très forte. En moyenne en Europe, la part du revenu des parcs liés à l’hébergement est passée de 5% à presque 20% entre 2005 et 2016. C’est une ressource qui devient de plus en plus importante. Comme je l’indiquais, 25% des nuitées hôtelières de la ville sont pour des visiteurs de Liseberg. Cela représente près de 1,2 millions de nuits. D’une part, c’est une manière pour le parc d’avoir une petite part de ce gâteau et d’autre part, c’est surtout une manière de disposer de plus de moyens pour notre développement.
Les ressources issues de l’hôtel permettront de faire vivre Liseberg et d’y construire de nouvelles attractions. C’est un moteur essentiel. Le parc aquatique, en grande partie intérieur, a deux rôles. Le premier est celui d’assurer que l’hôtel soit aussi fonctionnel hors-saison. Le second est d’offrir aux habitants de Göteborg une toute nouvelle offre. Voilà le modèle.
Nous croyons que le moment est juste car les perturbations des voyages longue distance risquent de durer. Qu’il s’agisse de voyages d’affaire ou d’agrément car chacun s’interroge sur l’impact climatique de ses déplacements. Le parc aquatique indoor, à la fois proche et original, peut offrir une alternative à un week-end à l’étranger.
Ça peut paraitre effrayant d’investir autant en cette période difficile mais nous sommes convaincus que cela nous emmènera plus loin, que c’est l’étape nécessaire dans notre développement.
Et si vous considérez également le musée des sciences (Universeum) et le futur Volvo Experience Center, vous avez autour de Liseberg un véritable hub de loisirs expérientiels de premier plan. »

Propos recueillis en Juin 2021.
Un grand merci à Andreas Andersen pour le temps accordé à cet entretien en pleine phase de réouverture.
Andreas Andersen publie régulièrement sur ce blog ses réflexions sur Liseberg et sur l’industrie des loisirs en général.

Crédits images de titre : Portrait Andreas Andersen (Liseberg), Liseberg Aerial View (Coasterbreaks)