Il y’a un an, Funfaircity publiait son premier dossier sur la tendance croissante et multi-forme du retailtainment (association des loisirs aux commerces). Au même moment, B’Est, centre commercial fortement doté en offre de loisirs (portée par un nouvel acteur : Airtrix), ouvrait à Farébersviller en Moselle. Depuis, ce centre a été primé comme meilleure ouverture 2018 par le CNCC (Conseil National des Centres Commerciaux).
A l’occasion de cet anniversaire et du temps de bilan/perspective associé, Barthélemy Jeanroch, directeur du centre, a bien voulu répondre à mes questions.
FFC : L’intégration des loisirs dans les centres commerciaux semble aujourd’hui une évidence sans pour autant que la mise en pratique soit si évidente que cela. A la lumière de l’expérience d’intégration d’Airtrix à la programmation de B’Est, quel est votre sentiment ?
BJ : « Aujourd’hui l’intégration à un centre commercial d’un équipement comme un cinéma est naturelle au sens où les clients sont habitués à l’idée d’en trouver un (cas de figure toutefois essentiellement valable en périphérie des grandes agglomérations). Les autres formes de loisirs, dont les loisirs actifs comme ceux proposés par Airtrix (bowling, foot indoor, trampoline, escalade, …) ne sont pas encore naturels dans les espaces commerciaux car ce n’est pas là que le public s’attend à en trouver. Le défi est de changer cette idée et cette perception.
Concernant les food court et les autres offres de restauration, je ne les considère pas comme des « loisirs » au sens où d’autres centres commerciaux l’entendent. Dans un espace commercial ils ne se suffisent pas toujours à eux même et gagneraient à s’associer à d’autres loisirs – cinéma ou autre – afin d’optimiser leur remplissage sur la semaine. On constate que les restaurants isolés au milieu des boutiques ont un moins grand succès. Pas à B’Est car ils sont accolés à du loisirs actif mercantile et non mercantile.
B’Est est surnommé le « Disneyland de la région » ce qui est à la fois une reconnaissance du public quant à l’offre nouvelle et qualitative que nous apportons et la révélation d’un manque de mots pour désigner le type de lieux que nous cherchons à faire exister. B’Est n’est ni un simple centre commercial, ni un parc de loisirs. C’est un autre type de lieu de vie et de partage qui n’a pas encore trouvé son nom.

La programmation en loisirs de B’Est a été validée dès la conception du projet et un appel auprès d’opérateurs spécialisés a été lancé. Initialement, le projet comportait seulement un espace de loisirs actifs indoor de 5 000 m² et un autre extérieur d’environ 1ha. Il était porté par Altiplano, le groupe Lyonnais, qui a ensuite fait le choix de céder ses baux à Airtrix. Le foot indoor est venu ensuite quand une enseigne de jardinerie s’est retiré du projet et a laissé une grande cellule libre. C’était autant une opportunité qu’un risque car le foot en salle intégré dans un centre commercial, c’était une première.
L’intégration d’Airtrix à B’Est est donc faite sur une triple implantation, chacune sur un espace bien identifié à l’une des trois entrée du site. Malgré cela, de nombreux visiteurs n’ont pas encore pleinement conscience de ce dont il s’agit. Encore une conséquence de la nouveauté. C’était en outre la première implantation pour cette marque alors inconnue du public. Aujourd’hui, Airtrix vient d’ouvrir une seconde adresse à Chelles, sur une surface plus réduite, dans un autre centre commercial. Un autre parc indoor est à l’étude je crois.
Airtrix dispose de ses propres horaires (fin d’après-midi/soirée en semaine et après-midi jusqu’à 2h du matin le week end) et de son autonomie de fonctionnement. Mais cette autonomie ne doit pas signifier une indépendance totale, dans l’intérêt de chacun. Je développerai plus ce point en réponse à la dernière question. »

FFC : Après un an d’exploitation, quel bilan tirez-vous de la forte présence des loisirs dans le centre B’Est ? Notamment, la zone de chalandise théorique de 30 minutes de trajet pour l’offre loisirs s’est-elle concrétisée ?
BJ : « La zone de chalandise est bien celle annoncé initialement dans le projet et on remarque aujourd’hui qu’on fait venir de très loin, même parfois plus loin qu’imaginé au départ.
Pour autant, je ne souhaite pas encore tirer de bilan mais plutôt dresser des perspectives. Les synergies entre les loisirs et le commerce ne sont pas innées et nécessitent une coopération régulière et des ajustements continus. Dans ce but, je rencontre les exploitants d’Airtrix chaque semaine et nous avons déjà apporté des évolutions à l’offre.
Par exemple, lors de l’ouverture, le parc de jeux extérieur était en accès payant (1€) et les attractions qui s’y trouvaient (mini-golf, parcours aventure, …) étaient payant en supplément. Cela ne fonctionnait pas. Nous nous sommes entendus pour que le centre commercial récupère la jouissance et gestion du parc et qu’Airtrix se concentre sur son cœur de métier, les loisirs actifs. Le parc est passé sur un accès libre et gratuit, a été équipé de transat, d’aires de pique-nique et les grands jeux sont restés payants. Airtrix a compensé en fréquentation de ses attractions ce qu’il a perdu en recettes d’entrée et le centre dans son ensemble a gagné un bel espace d’agrément.

C’est de cette manière que nous faisons vivre ce que nous considérons comme l’ADN de notre centre et ce que nous exprimons par « Shopping-Hyper-Fun ». L’objectif que je donne à Airtrix est de réussir à faire venir le public une première fois. C’est selon moi suffisant pour le faire revenir et lancer le bouche à oreille car c’est en plaisant à tous que nous obtiendrons les récurrences de visites que nous souhaitons.
Le centre dispose ensuite une offre suffisante pour qu’une personne qui habite dans une zone située à dix minutes de trajet ait au moins une bonne raison de venir jusqu’à une fois par jour (par exemple : salle de sport le mardi, courses le jeudi, repas du vendredi entre collègues, loisirs en famille le dimanche). A noter que le loisirs seul nous apporte 10% de notre fréquentation.
La conséquence de cette fréquentation est un temps de présence sur place bien plus long que la moyenne constatée habituellement. Cela se ressent également sur notre parking qui est souvent saturé. Son occupation moyenne est de deux heures contre cinquante minutes en moyenne nationale.
La zone de chalandise théorique excluait l’Allemagne bien que nous soyons sur une implantation frontalière. En effet, le public allemand sera plus long à attirer. Leur culture des loisirs est différente de la nôtre car ils y ont recours plus par habitude que par opportunité. Les sites de loisirs français peuvent aussi parfois être inadaptés (en Allemagne il est normal d’apporter son pique-nique quand en France on va plutôt inciter à consommer sur place,…).
En matière d’activité BtoB (Business to Business), nous pratiquons l’accueil d’évènements de Comités d’Entreprise, d’arbres de Noël et travaillons notre communication pour attirer d’autres types d’évènements comme les séminaires et le team building. C’est indispensable à une bonne répartition de la fréquentation sur toute la semaine. Avec ce même objectif, B’Est permet également l’organisation d’animation ou de sortie scolaire sur ses espaces de loisirs sportifs encadrés. »

FFC : L’intégration des loisirs dans les centres commerciaux peut parfois prendre une dimension impressionnante. Sans aller jusqu’au concept controversé Europacity, on trouve déjà des exemples révélateur d’une tendance à l’intégration de loisirs toujours plus spacieux, plus nombreux, plus immersifs mais par conséquent plus couteux comme par exemple Creactive, Lionsgate Entertainment City ou des attractions du groupe Merlin (Aquarium Sea Life, Peppa Pig World of Play, Legoland Discovery Centers,…). Que vous inspirent ce type de références ?
BJ : « Il faut d’abord distinguer si ces références doivent trouver leur place dans un nouveau centre ou bien dans un projet de transformation d’un centre existant.
La création d’un nouveau centre suppose de promettre au public une expérience qui n’a rien à voir avec la concurrence et donc à penser à tout autre modèle, souvent extensif, par l’accumulation d’offres au même endroit. Cela donne des projets comme Europacity qui, dans un contexte francilien déjà saturé en centre commerciaux, devient très difficile à accepter.
Repenser un centre existant offre l’opportunité de le conforter en place et de tirer un bénéfice de l’expérience acquise au cours de son exploitation passée pour le transformer en un vrai lieu de vie multifonction. On retrouve alors le problème lexical abordé sur la première question entre le « centre commercial » trop restrictif, connoté et le « lieu de vie » peut être trop vague.

Les loisirs permettent dans ce cas d’évoluer vers un nouveau type de lieu et surtout de le différencier de la concurrence locale. C’est alors que les concepts que vous évoquez peuvent être judicieux. Mais alors il faut être vigilant à ce que le « thème » retenu ne soit pas qu’un simple décor, un habillage marketing et un surcoût à l’entrée pour une offre de loisirs classique.
Cette différentiation de l’expérience par le thème sera probablement l’étape suivante du développement des nouvelles formes de loisirs. Les clients découvrent à peine les espaces de loisirs actifs indoor et je pense qu’ils doivent déjà s’habituer à cette nouvelle idée de sortie avant de songer à chercher un thème ou bien à monter en gamme. Et quand nous y serons, quels seront les thèmes porteurs ? Il est trop tôt pour le dire ! Vouloir aller trop vite en taille ou en gamme présente un fort risque d’échec.
Mais quel que soit le concept retenu, celui-ci ne gagnera en pérennité que s’il est correctement associé aux autres fonctions de l’espace commercial. Il faut du liant ! L’objectif que nous avons à B’Est est de tirer le meilleur de chacun des pôles : commerces, loisirs et restaurants. Ils doivent vivre ensemble et non vivre les uns des autres. Surtout, les loisirs, même quand ils fonctionnent très bien à eux seuls, peuvent parfois ne pas suffire à assurer un bon fonctionnement des commerces traditionnels.

Pourtant, le liant dont nous avons besoin peut passer par des choses simples :
- Un évènement d’anniversaire sur un espace de loisirs peut permettre une animation avec les enfants pendant que les parents effectuent leurs achats (loisirs-service) ;
- Une soirée au bar d’ambiance intégré à Airtrix offre des bons de réduction shopping ;
- Des remises pour les activités d’Airtrix sont offertes dans certains magasins pour un certain seuil d’achat ;
- Un évènement d’entreprise peut associer loisirs sportifs et restauration à proximité
- (…)
Rien n’est acquis dans ce domaine et il convient d’apprendre continuellement en restant attentif aux nouvelles habitudes des visiteurs concernant les activités commerciales et les activités ludiques mercantiles ou non.
C’est de cette manière que les conditions de la synergie peuvent être ajustées et que les loisirs trouveront leur place dans les espaces commerciaux sur le long terme et qu’ils pourront évoluer.
Propos recueillis par téléphone le 17 avril 2019. Funfaircity remercie chaleureusement Barthélemy Jeanroch pour son accueil, sa disponibilité et son enthousiasme à répondre à ces questions en grande transparence. Crédits photographiques : Barthélemy Jeanroch
B’Est est un centre commercial de 55 000 m² ouvert en 2018 à Farébersviller en Moselle, le long de l’autoroute A4 (sortie 41). Il appartient au promoteur CODIC et est géré en mandat par Shopping Center Company. Architecte du projet : SCAU.
Barthélemy JEANROCH a 30 ans. En 2012, il commence responsable des ventes secteur chez Lidl, gérant un réseau de cinq supermarchés pour le groupe. Il apprend ensuite les métiers de l’immobilier en 2016 toujours au sein du groupe.
En 2017, il s’engage avec la société GALIMMO, foncière du groupe CORA, pour laquelle il prend la responsabilité de sept centres commerciaux en Lorraine et en Champagne Ardenne en tant que directeur.
Enfin, en 2018 il rejoint la Shopping Center Company afin de gérer pour le compte du propriétaire CODIC, l’ouverture du nouveau centre commercial B’est.